
REVIEWS
La Gouttière
Bleu Elégiaque est en fait un album méconnu car non édité en 2003, à
son apparition. C'est Abyssa Netlabel, le vent toujours en poupe, qui a
le premier enclenché la très bonne initiative d'une réédition de ce
fond de tiroir de qualité - autant le dire tout de suite. C'est à vrai
dire un plaisir que de découvrir une "nouvelle" oeuvre de Fin de
Siècle, ici toujours orchestrée par le non moins sympathique Stephane
F. Mais attardons-nous plutôt sur le contenu de ce fameux tiroir
poussiéreux avant de tomber dans l'emphase...
On sait que Fin de Siècle s'est depuis quelques temps écarté d'une
imagerie et d'une atmosphère très "romantiques" pour se tourner vers ce
qui me semble correspondre davantage à l'esprit fin de siècle justement
; les compositions, bien que toujours armées d'une mélancolie à toute
épreuve, font tinter des accents de "modernité", d'urbanité même ("City
Lights"). Présent et passé se côtoient pour former quelque chose
d'intéressant, à la manière de l'Art Nouveau, sans nostalgie trop
marquée de temps anciens, d'ailleurs réactualisés à toutes les sauces
et même les plus mauvaises.
Ici retentissent les dernières notes d'une époque, dans une sorte
de constat, ou d'hésitation entre passé et séduisante modernité. Les
références à l'art pictural ne sont pour moi pas déplacées ; Bleu
Elégiaque offre en effet un tableau, une photographie, au delà de la
douceur de la couleur bleu annoncée. Un décors de vie flou, des éclats
de rire, l'écho d'une fête lointaine où les couples dansent en ronde
incertaine, à moins que ce ne soient les petits rats de Degas... Des
accords perdus dans l'atmosphère brumeuse, filtrant la lumière et les
formes... Une plage du nord, au sable devenu gris sous les épais nuages
et l'eau, et là, dans le coin, une flaque reflétant un chapeau à large
bord et un ruban noir flottant dans le vent fort.
Le souvenir exprimé par Fin de Siècle transforme une époque en
grisaille, en clichés abîmés par le temps, à moins qu'il ne témoigne
tout simplement de l'apparition de ce gris au milieu d'un ciel qui fut
jadis bleu. L'univers sonore proposé stimule l'imagination, la douce
mélancolie. "B" offre une image plutôt sensuelle, "Church", plutôt
triste, "L" celle d'une vue imprenable sur les remous et les îles
sinistres de l'Atlantique.
Fin de Siècle parvient avec ce Bleu Elegiaque à mettre une
atmosphère, un sentiment sur une palette de couleurs et de sons,
ceux-ci véritables. Ils sont doux et un peu surannés, comme les
mouchoirs bien pliés que l'on retrouve au fond des tiroirs et dont les
odeurs rappellent à l'esprit des souvenirs en impressions ; comme des
cyanotypes, teintés de "bleu élégiaque".
Un bien beau disque.nnaissance de ses pairs dans un futur proche.
The french Touch
Après sa rencontre avec Florence Cailleux au printemps 2001,
Stéphane F. passe l'année 2002 à composer, ce qui se traduit en
2003 par de nombreuses parutions. L'album "Tout disparaîtra" chez
Cauldron Music bien sûr, mais également les EP "Sans titre" et
"L'âme-frère" qui constituent les deux faces d'un seul opus. Fin de
Siècle participe également à deux compilations, "UHF volume 2" et
"Ombres et lumières, tribute to JM Dauvergn". Enfin voient le jour un
EP, "Bleu élégiaque", et un album, "Nine barns", qui ne seront pas
publiés. Prévu à la base comme un 10" pour Divine Comedy, "Bleu
élégiaque" est refusé par le label, qui trouve que l'EP s'éloigne trop
du style "néoclassique" mis en oeuvre par Fin de Siècle sur ses
productions précédentes. Les huit titres dorment donc dans un tiroir
jusqu'en 2005, où le netlabel Abyssa a la bonne idée de les proposer en
téléchargement libre.
A l'écoute de ces titres on comprend
pourquoi Divine Comedy a été surpris par cet EP. La mutation qui allait
donner le jour à "Nine barns" (dont on a pu entendre deux extraits sur
"Summertime") avait débuté avec "Bleu élégiaque". Finis les titres
uniquement basés sur le piano, même si l'instrument demeure au centre
de la musique de Fin de Siècle : la guitare et l'orgue font leur
apparition. Des influences post rock (on pense à Sigur Ròs) ou trip hop
sont nettement perceptibles sur cet EP, dont l'atmosphère change
résolument par rapport aux débuts. Fin de Siècle n'a jamais aussi bien
porté son nom et enterre définitivement le 19e siècle. On rentre en
plein dans une ère plus moderne, où les sons de la ville ("City
lights") se mêlent à ceux de la nature, de la mer (l'élément maritime a
toujours tenu une grande place chez Fin de Siècle). Toujours
mélancolique mais moins morbide, Fin de Siècle tourne la page et s'en
va explorer un nouveau siècle, en conservant tout ce qui faisait son
talent.
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